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mardi 28 juin 2011

Le Fils

(réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne, 2002)

Le dernier film des frères Dardenne, Le Gamin au vélo, est actuellement en salle, après avoir été récompensé au dernier festival de Cannes (Grand prix). Une actualité qui me donne envie de parler de leur meilleur film d’après moi, Le Fils, sorti en 2002.
D’abord documentaristes dans les années 70 et 80, les deux belges se sont ensuite tournés vers la fiction à l’aube des années 90. Dans la lignée du réalisme social à l’anglaise, ils ont développé un cinéma austère et rugueux qui traite de la société contemporaine et met en scène des personnages tragiques. Depuis La Promesse en 1996 ils n’ont cessé de s’imposer, auprès de la critique et du public, comme des cinéastes incontournables. En témoigne, chose rare, leur double palme d’or : en 1999 pour Rosetta et en 2004 pour L’Enfant.
La Promesse, Rosetta et Le Fils sont, je pense, leurs trois vraies réussites. Leur  cinéma y est intense et très noir. Ils mettent en avant des sentiments complexes et troublants à travers des sujets universels comme l’amour, la vengeance, la précarité, etc. Leur grande force c’est d’utiliser à merveille la pure puissance expressive de la caméra et non d’essayer de créer l’émotion par un jeu d’acteur grandiloquent ou par un scénario à grosses ficelles. En ce sens ils me font beaucoup penser à un autre esthète de l’épuration, le cinéaste français Bruno Dumont (La vie de Jésus, Flandres). Le problème avec les films qui ont suivi (L’Enfant, Le Silence de Lorna) c’est qu'ils vont perdre la force de la simplicité de leurs premières œuvres, pour crouler sous une mise en scène lourde, au service d’œuvres misérabilistes et caricaturales.
Venant-on donc plutôt à ce film de 2002, Le Fils. Olivier est professeur de menuiserie, il est divorcé. Un jour un jeune apprenti, Francis, se présente au centre de formation. Si ce dernier ignore qui est Olivier, lui sait très bien à qui il à faire. C’est ce garçon qui a tué son propre fils il y a 6 ans. Il vient de sortir de maison de redressement.
Certes le scénario tient en deux lignes mais ce qu’il exprime pourrait faire l’objet de dissertations et d’analyses filmiques interminables. Le film va se construire comme un chassé-croisé permanent entre ces deux êtres. Francis est un adolescent paumé qui agit comme un animal terrorisé et faible. Il cherche du réconfort et une présence humaine. Il n’a qu’Olivier et tente donc de se rapprocher de lui. Olivier est plus impressionnant, notamment physiquement. Mais il semble tout aussi fragile. La mort de son fils lui pèse. Son mal de dos permanent, celui qui le pousse à porter une grosse ceinture de maintient le scindant en deux, devient l’empreinte corporelle de ce fardeau inhérent à son âme. Que veut-il vraiment à Francis ? On ne le sait pas, mais il semble entièrement aimanté par cette nouvelle présence.
Cette relation ambiguë et abstraite, que l’on peine à cerner, va être captée par la caméra. Olivier et Francis ne partageront presque jamais le même cadre, symbole flagrant de la scission qui existe entre eux. On pense notamment à la séquence où Olivier rencontre pour la première fois Francis dans les vestiaires du centre. On le voit d’abord longer lentement l’épais mur de parpaings qui les sépare. La caméra est distante, puis s’approche brusquement de son visage grâce à un travelling à l’épaule instable. Elle scrute alors lentement cette face apeurée. Olivier a du mal à regarder dans la pièce voisine. Puis il y a Francis, assoupi sur un banc, frêle et vulnérable. Un champ/contre-champ nous ramène sur Olivier, qui semble aussi fasciné que terrorisé. Il lui faudra quelques instants pour le réveiller. Les paroles ici sont futiles, tout est dans les regards,  des regards profonds et fuyants, qui ne se croisent jamais.
Le film n’arrive pas à être clair et limpide, et c’est peut être pour cela qu’il est très réussi. Les Dardenne explorent un terrain où peu de cinéastes osent s’aventurer. Ils mettent en avant la toute puissance de l’indicible via un cinéma réaliste. Plus les intentions d’Oliver envers ce jeune homme qui gravite autour de lui deviennent abstraites, plus le film est perturbant. Dans cette réalité trouble on se raccroche alors aux gestes, à la mécanique des corps. Et encore une fois la magie de la caméra opère. Les mains sont scrutées à l’atelier, la  nuque d’Olivier devient un moyen d’expression, etc.

Aussi pour finir il est nécessaire ici de rendre hommage aux deux acteurs qui participent grandement à l’expressivité du film. Morgan Marinne d’une part, qui incarne Francis avec charisme et traverse l’œuvre telle une ombre insaisissable. Et puis Olivier Gourmet. Que dire d’Olivier Gourmet ?! C’est l’acteur fétiche des Dardenne, il a joué dans presque tous leurs films. Ici il transcende véritablement ce personnage opaque. La moindre partie de son corps bouillonne d’intensité, comme son regard, qui malgré d’épaisses lunettes, brille par sa noirceur. Son prix d’interprétation à Cannes est amplement mérité. Je vous conseille d’explorer un peu plus sa filmographie : La Promesse donc, mais aussi Home d’Ursula Meier, ou encore la Venus Noire d’Abdellatif Kéchiche, chef d’œuvre injustement passé inaperçu l’année dernière.
Punching Joe

Bande annonce

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