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mardi 29 mai 2012

Lower Plenty, Hard Rubbish


L’artwork de ce premier LP des Australiens de Lower Plenty a le mérite de ne pas nous tromper sur la marchandise. En représentant une cour à l’abandon, l’auteur de cette photo (Zephyr A. Pavey) a su capter l’essence de ce sublime Hard Rubbish, fait de terreur, de sentiments en jachère, et de fantômes.

Lower Plenty est un side-project de membres de plusieurs bands australiens comme UV Race, Deaf Wish ou Dick Diver. Le produit de leur collaboration est pour le moins étonnant puisqu’ils laissent de côté le garage schizo (UV Race, Deaf Wish) et la pop (Dick Diver) de leurs groupes d’origine pour jouer un folk minimaliste et sec, où un trio de voix fragiles surplombe des guitares plaintives et des percussions mourantes.

Le problème avec ce genre d’album folk mélancolico-dépressif c’est que, souvent, son auteur tombe un peu trop facilement dans les clichés d’une tristesse tellement soulignée et complaisante qu’elle en devient factice. Et si ce Hard Rubbish s’écoute de préférence recroquevillé dans le coin de sa chambre, il n’en est pas pour autant un manifeste larmoyant pour ado dark. Sa justesse de ton et d’écriture, mêlée à une prod lo-fi et intrigante en font au contraire un disque excellent, qu’il convient de s’approprier délicatement. "Walk in the morning" ouvre Hard Rubbish sur un duo de voix cassées qui soufflent leur haleine douce-amère sur une guitare sèche bancale. Et quand la chanson semble se déployer, elle s’arrête brutalement, comme pour nous prévenir qu’ici rien ne sera stable. C’est ce que confirme d’ailleurs "Dirty Flower" où Sarah Heyward (percussions) trimballe ses intonations innocentes au milieu d’un champ de ruine noisy. Ce n’est pas pour rien que les Lower Plenty se définissent eux même (non sans humour) de « post-war band ».


Heureusement le disque propose aussi des pistes plus évidentes, où le talent du groupe pour composer des folk-songs à tomber par terre saute aux yeux. Notamment "Strange Beast", qui flotte dans les limbes avec grâce, ou "Nullarbor", autre pièce maîtresse, faite d’émanations poussiéreuses de guitare électrique et de feux follets vocaux inquiétants. Et, au-delà des ambiances, des compo, l’autre force de Lower Plenty est bien sûr les trois voix, qui s’alternent et se complètent magnifiquement ; de la douceur angoissée de Sarah Heyward, aux échos rauques de Jensen Tjhung en passant par le timbre adolescent d’Al Montfort.

Album profondément déprimant, Hard Rubbish n’en est pas moins passionnant. Il met en exergue des musiciens talentueux, aventureux, qui avec des débris d’âmes composent une ode magnifiquement lugubre. L’expérience est totale et le point de non retour est atteint sur l’ultime piste, "Close Enough", qui ne laisse aucun espoir…ambiance fin du monde.
Punching Joe
Sur le web :
-Une interview pour mieux les connaître (en anglais)
-La page du Label Special Award Records pour faire vos emplettes

lundi 21 mai 2012

Ty Segall / White Fence, Hair

Alors qu’on trouvait déjà indécente la qualité des albums des groupes venant de San Francisco, fallait-il vraiment pousser le bouchon jusqu’à faire des collaborations ? Apparemment oui. Sur Hair, c’est deux des meilleurs songwriters de la baie qui font mumuse ensemble. D’un côté Ty Segall, le prince du garage, qui au fil des albums se montre capable d’à peu près tout. De l’autre Tim Presley, aka White Fence. Moins célébré il est pourtant celui dont les compos sont les plus singulières, une sorte de Syd Barrett en vans.

Sur les 8 chansons, 3 sont signés Presley, 2 Segall et les 3 autres sont écrites à deux. L’album n’en est pas pour autant décousu, car les protagonistes ont trouvé la formule magique pour mêler habilement leurs deux styles et arriver au final à créer un grand album de rock’n’roll, à la fois solide, barré et virevoltant.

Segall et Presley n’ont bien sûr pas bridé leurs écritures respectives. Sur la nonchalante "Easy Rider", la construction et la progression sont purement segallienne, mais Presley n’hésite pas à venir poser sa guitare malicieuse. Tandis que sur la non moins succulente "The Black Glove/Rag" on reconnait le jeu délicat et chancelant de White Fence auquel Ty apporte sa puissance dans le final.

"Time", superbe vidéo réalisée à l'occasion de la sortie du disque

Les piliers du disque restent les pistes écrites à deux, comme "Time", qui ouvre l’album et met les pieds dans le plat, cash. La chanson, portée par une mélodie aérienne à tomber par terre, se finit dans un gros trip heavy/psyché en guise de mise au point : on est ici, avant tout, pour s’éclater. Une rampe de lancement qu’utilise parfaitement "I’m not a game" (composée par Presley) où les guitares s’enchevêtrent, se battent et finissent en lambeaux. C’est ensuite à l’heure de conclure que le duo se retrouve avec "Scissor People" et "Tongues". Sur la première ils se la jouent sérieux pendant une minute avant de courir s’éclater en récré à base de solo post-it, d'une progression vicelarde, et de rythmes en montagnes russes. "Tongues" termine le boulot, et nous par la même occasion, avec le même esprit, s’affranchissant assez vite de la chanson pour laisser parler la fougue.

A me lire on croirait presque que l’album repose essentiellement sur ce couple. Mais il serait injuste de ne pas mentionner la section rythmique, flamboyante et largement à la hauteur de l’événement. Et notamment le bassiste, qui n’est autre que Mikal Cronin, pote d’enfance de Segall et auteur d’un bon album à l’automne dernier. N’est-ce pas d’ailleurs lui qui lance l’infernale machine sur "Time", avec quelques notes qui semblent tomber du ciel ?

Malgré une composition à deux têtes et pas mal de déviances, ce Hair est finalement un album très cohérent. L’explication est  simple : aussi uniques soient-ils, Ty Segall et Tim Presley se sont réunis avec une même envie, élémentaire, faire du rock’n’roll. Et grâce à leur immense talent et à une insouciance adolescente jamais bridée, les deux compères lâchent une pépite instantanée, un joyau à la brillance kaléidoscopique.

Punching Joe

"I'am not a game", lors des même sessions (solo de télé quoi !)

lundi 14 mai 2012

The Future Primitives, EP/demos

Basés au Cap en Afrique du Sud, the Future Primitives est le nouveau projet de Johnny Tex et Heino Retief, ex-the Revelators. Ils jouaient avec ces derniers un trash-garage assez agressif, dans la lignée des Reatards, qui a été compilé sur un disque très recommandable, Kill the Revelators (mis à disposition par le groupe lui-même et qui contient notamment de succulentes reprises du Gun Club, de Dick Dale ou encore de Richard Hell). Avec the Future Primitives ils resserrent un peu plus l’étau et rendent leur son (encore) plus massif, pour un résultat proche de ce que peuvent faire leurs cousins californiens Thee Oh Sees et autres Cosmonauts.

"Open up your door"

L’écoute de cet EP, disponible sur Bandcamp pour l’instant, se révèle être carrément réjouissante. Les trois Sud-Af' ont décidé de passer en force, et bien leur en à pris. "Instro" donne le ton et nous rappelle ce qu’est le vrai surf-rock à l’ancienne, soit un bon gros riff qui galope sur une rythmique qui tache. Les Future Primitives enchaînent alors avec des compos basiquement garage, jouées la tête dans le guidon. "I’m the sound", "Fall to pieces", "Sea of swords" font dans le parpaing haute-gamme, bien soutenues par la voix de Tex, qui accentue le tout d’éructations et d’aboiements tranchants. L’excellente "Try on something that’s really you" s’aventure elle vers le Rock’n’Roll, enfin du Rock’n’Roll revisité façon guitare-tronçonneuse. La piste maîtresse reste cependant "Open up your door", superbe reprise possédée de Richard & the Young Lions.

Les Future Primitives c’est donc ça : une guitare frénétique qui déblatère des riffs gluants avant d’exposer en vol dans des solos virevoltants, une basse qu’on pourrait résumer à un gros bourdonnement de fuzz et une batterie entêtée, brillamment régressive. Bref, du rock’n’roll qui n’a d’autres intentions que se faire péter la panse et les oreilles, le cerveau soigneusement rangé au placard. Promis, on suivra ce power-trio avec beaucoup d’attention.
Punching Joe


PS : Après the Spyrals, on rend une nouvelle fois hommage au blog US Get Bent pour cette chouette découverte.

mercredi 9 mai 2012

Exposition "Les Monstres Intimes" de Kira Leigh Maintanis


Exposition "Les Monstres Intimes" - Quarks Gallery à l'espace In my room


Il y a quelques jours, on a poussé la porte de l’espace In my room où la galerie Quarks prend temporairement ses quartiers pour découvrir la première expo française de Kira Leigh Maintanis. On n’a pas du tout mais alors pas du tout était déçu. On vous raconte.

Tout d’abord tirons notre chapeau à cette initiative excitante qu’est Quarks Gallery. S’étant donné pour but de dénicher et de promouvoir de jeunes artistes émergents, avec un attachement particulier pour le renouveau surréaliste, cette galerie itinérante a décidé d’user des possibilités de son temps et d’entrer dans l’ère numérique. Vous pourrez en effet très prochainement naviguer sur son pendant 3D : ici

Et c’est donc l’œuvre de Kira Leigh Maintanis que Quarks Gallery met à l’honneur en ce moment. L’artiste de vingt quatre ans, tout juste diplômée de son école d’art à Boston, livre avec "Les Monstres Intimes" de véritables petits bijoux pop surréalistes. Un ensemble de dessins, principalement sur papier, comme autant de questions ouvertes par l’artiste sur sa propre identité. Utiliser le terme "dessin" pour qualifier l’art de la jeune femme est d’ailleurs réducteur car il ne rend pas compte de l’impressionnant mélange de techniques qu’elle convoque, celles-ci allant du stylo à la gouache en passant par le marqueur et même le verni à ongle. Et si l’artiste se plaît à mêler les techniques, elle entretient de même un amour pour le choc des univers, n’hésitant pas à juxtaposer des éléments divers et variés : symboles, corps féminins dénudés, personnages de comics etc. On pourrait croire alors que ses pièces relèvent d’un fourre-tout inextricable mais au contraire, ce qui frappe c’est l’harmonie totale qu’elle réussit à atteindre, malgré ce foisonnement de matières et d’objets. 





Les illustrations de Kira Leigh Maintanis prennent souvent l’allure de visions organiques. C’est la chair des corps qu’elle étale sous nos yeux. Une chair marquée par les pulsions, par la souffrance et par une certaine dégénérescence. Or si ces visions ont certes un aspect morbide et torturé, elles ne sont pas non pour autant écrasantes et montrent même une certaine légèreté, une fantaisie, sans doute due à l’application pop de la couleur.




Ces pièces nous ont évoqué quelques références hétéroclites pour lesquelles on cultive une certaine affection, allant d’Egon Schiele, avec ses corps de femmes offerts sans pudeur, à Daniel Johnston grand représentant de l’illustration DIY, en passant même par Charles Burns et sa folle exploration des bizarreries physiques. Le tout plongé dans un savant mélange surréaliste avec de nombreux et minutieux détails échappés du délire de l’inconscient. Oui savant, parce que la composition est parfaitement réglée, mais un mélange qui n’en est pas moins sauvage et donc jouissif !




Vous avez jusqu’au 19 mai pour courir au 32 de la rue Rodier dans le 9ème arrondissement de Paris et voir ces merveilles. Mais vous pourrez donc tout aussi bien les découvrir dans vos intérieurs de jeunes gens modernes avec la galerie 3D attendue ces jours-ci…


Hanemone