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vendredi 13 septembre 2013

Scott & Charlene’s Wedding-Any Port in a Storm


Craig Dermody a formé Scott & Charlene’s Wedding à Melbourne, avant de déménager pour New York, ville qu'il a toujours fantasmée. Après quelques galères, le temps de trouver un nouveau groupe et de se familiariser avec la grosse pomme, il enregistre Any Port in a Storm, qui succède à l’excellent Para Vista Social Club. Désormais moins saturé, son indie-rock se pare de contours plus pop à travers 11 chansons habitées par la personnalité sensible de leur auteur.

La musique de Scott & Charlene’s Wedding a quelque chose de fondamentalement ordinaire et spontanée. Graig Dermody ne s’en cache pas d’ailleurs, il écrit et chante comme ça vient; sur la vie, ses pensées, ses angoisses. C’est un songwriter dans l’âme, qui pense d’abord à ses chansons, avant d’en imaginer le son. Sur Para Vista Social Club il cachait néanmoins son jeu de guitare, qu’il jugeait approximatif, derrière des distorsions qui donnaient une tonalité velvetienne à sa musique. Avec Any Port in a Storm il a confié l’enregistrement à Jarvis Taveniere de Woods, qui a clarifié tout ça et donné une patine indie-pop à ces titres délicats.


Il n’a pas pour autant perdu sa nonchalance indie-rock. Un détachement qui n'est pas sans rappeler celui de Pavement et de leurs mélodies universelles. Car Craig Dermody est un pur produit des années 90 et ne manque pas de le souligner. Il intitule même une des ses chansons "1993" pour y conter la folie des playoffs NBA cette année là. La base de toutes les compositions est élémentaire : raconter des histoires, et souvent son histoire, à l’aide de trois accords convaincus et d’une voix bavarde. La formule est simple, efficace,  et semble pouvoir être répétée à l’infini, sans lasser.

Même s’il est très homogène, Any Port In a Storm alterne habilement les passages accrocheurs ("Jackie Boy", "Downtown", "Charlie’s in the gutter") et ceux plus aériens ("Lesbian Wife", "Junk Shop", ou la belle balade "Spring St"). On retiendra l’excellent travail de Michael Caterer à la guitare solo qui tapisse le disque des ses riffs indie-pop scintillants. Une élégance seyant parfaitement aux compositions de Dermody qui trouvent ici un écrin idéal pour se déployer. Sans fard, la musique de l’Australien brille dans sa fragilité, toujours tiraillée entre insouciance et désenchantement.
Punching Joe

mercredi 4 septembre 2013

Interview : Theo Verney


En avril dernier, le label londonien Italian Beach Babes a sorti le premier E.P de Theo Verney sous format cassette. Sobrement nommé T.V E.P, celui-ci n’a rien pour déplaire. Par doses exquises et bien mesurées vous pourrez goûter des notes psyché et indie suaves, des riffs garage enjoués, des poussées grunges charnues, peut-être même quelques intonations prog et stoner capiteuses. Bref un breuvage incroyablement doux et percutant à la fois. Quand, en traînant sur le site du label, j’ai appris que le jeune homme (22 ans), résident de Brighton, avait tout enregistré seul chez lui, j’ai été d’autant plus bluffée. J’ai voulu en savoir plus.


  Explique-moi comment tu travailles et quelle est la genèse de T.V E.P ?
T.V E.P est le résultat de mon projet solo après mon départ du groupe dans lequel je jouais avant (dont il ne tient pas à parler). J’enregistre et je joue tous les instruments moi-même. Je commence avec quelques idées à la guitare et puis je construis la chanson en y ajoutant des couches successives. 

  Qu'est-ce que tes paroles racontent ?
Généralement elles reflètent mes sentiments et mes pensées au moment où j’écris. Certaines peuvent être très abstraites.




  Comment ta collaboration avec Italian Beach Babes Records a démarré ?
Mes potes Boneyards ont sorti un de leurs EP avec eux, alors je leur ai envoyé un email, tout simplement.

  T.V E.P est disponible seulement sur cassette, qu’est-ce que tu penses de ce support ?
Les cassettes c’est génial. C’est peu cher à produire et en même temps ça permet d’avoir quelque chose de physique à posséder.

  Peux-tu me dire quelques mots sur l’artwork de T.V E.P ?
Le dessin est de Tatiana Kartomten. Je voulais que ça représente l’ennui, la frustration et je trouve qu’elle sait capturer ces sentiments d’une très belle façon. Les chansons de l’E.P tournent autour de ces sujets.




  Les dessins de Tatiana Kartomten sont aussi sur des pochettes de projets de Ty Segall (Sloughterhouse et Fuzz). Tu te sens proche de ce qu’il est, de sa musique ?
Ty est un type super. J’ai joué avec lui l’année dernière, c’est un très bon souvenir, un des meilleurs concerts où j’ai pu aller. J’aime bien sa philosophie d’enregistrer beaucoup de musique, à tour de bras, j’essaye de faire pareil.

  Qui joue avec toi sur scène ?
Mes meilleurs amis : Joe "le Humble" et Alex "batterie saignante Murphy". 

  Comment est la scène musicale à Brighton en ce moment ?
Je trouve que la scène là-bas craint plutôt. Il n’y a pas grand monde qui va aux concerts. Mais il y a de bons groupes, comme Birdskulls que je produis et qui sont de bons amis. Le Green Door Store est probablement le meilleur endroit où aller.

  Tu produis d’autres groupes ? 
Je suis producteur, c’est mon job. C’est cool parce que je travaille souvent  avec des amis et ça me permet aussi de m’ouvrir à un large éventail de genres.

  Plus généralement qu’est-ce que tu penses de la scène rock anglaise aujourd’hui ?
Je pense que de manière générale elle va de mieux en mieux, sans aucun doute. Il y a beaucoup de petits labels qui sortent de très bonnes choses comme Art Is Hard, Italian Beach Babes, Hate Hate Hate

  Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
En ce moment j’écoute surtout Black Sabbath qui est mon groupe préféré depuis que je suis enfant, et aussi Uncle Acid et les Deadbeats. Des trucs assez heavy en fait, des groupes comme Sleep et Electric Wizard.

  T’as écouté le dernier Black Sabbath d’ailleurs ?
Il est super cool. De toute façon un truc impliquant Rick Rubin et Sabbath ne pouvait être qu’une tuerie. 

  Est-ce que tu as des influences cachées ? Des trucs que tu aimes écouter mais qu’on n’entend pas vraiment dans ta musique.
J’adore le hip hop, Mobb Deep, Nas et M.O.P font partie des trucs que j’aime le plus écouter.

  Comment tu décrirais ton propre son ?
Du grunge garage psychédélique ?

  Quelle est la dernière œuvre que tu as vraiment aimé, qui t’a touché ? Ça peut être un album, un film, un roman, un dessin, n’importe quoi.
Je n’arrive pas vraiment à me souvenir de quelque chose qui m’ait touché…Je pense que voyager dans des endroits cool m’aide à me renouveler, à m’inspirer.

  Quels sont tes futurs projets ?
De grandes choses !



 Hanemone

dimanche 1 septembre 2013

Bande à part

La cassette à la rescousse
D’abord raillée pour son côté ringard et sa qualité sonore peu sûre, la cassette revient en force depuis quelques temps, soi-disant sous l’impulsion de la fameuse retromania ambiante. Pourtant, bien plus qu’une mode, c’est aussi, et surtout, un objet pas cher à produire, qui permet aux groupes lassés du tout numérique de pouvoir laisser une trace, quelque chose de palpable et d’insolite.

Il est difficile de ne pas associer le retour de la cassette audio au label californien Burger Records qui dès 2007 s’est lancé dans ce business alors considéré comme obsolète. Il aura pourtant fallu attendre quelques années supplémentaires pour que des gros médias US, de Pitchfork jusqu’au Los Angeles Times, mettent vraiment en avant cette petite structure de passionnés. On se souvient notamment de la Kitty Comp parue à l’été 2012 qui avait permis à Burger d’attirer l’attention. Pour rappel, Burger avait fait une compilation de charité pour opérer un chaton que les employés avaient retrouvé écrasé devant les locaux du label. Une initiative façon Trente Millions d’Amis qui a même été réitérée quelques mois plus tard, cette fois pour opérer un teckel, avec la the Wiener Comp, épuisée en quelques jours. Aujourd’hui, avec son catalogue foisonnant, Burger Records est donc mondialement connu et jouit d’une notoriété non négligeable dans la sphère des indépendants, sans pour autant lâcher ses précieuses cassettes, son esprit branleur et son savoir-faire DIY.

Ce format désuet, symbole des années 80, est en effet en vogue ces derniers temps et il est de moins en moins rare de voir des musiciens, issus des scènes indépendantes, avoir recours à la bande magnétique pour enregistrer et diffuser leurs chansons. A tel point que les articles fleurissent désormais, essayant de comprendre cette "tendance" et n’hésitant pas à s’imaginer un revival de la cassette, à la manière du vinyle. Un documentaire sur le sujet va même voir le jour, tandis qu’un Cassette store day se tiendra le 7 septembre prochain. A cette différence près, que si l’utilisation du support vinyle est marqué d'un cérémonial et de codes assez similaires à il y a 60 ans (sauf peut-être pour les hipsters qui n’écoutent pas les vinyles qu’ils achètent), celle de la cassette n’est plus tout à fait la même que lors de sa popularisation.


La cassette commence à se répandre au début des années 80 grâce aux nouvelles possibilités qu’elle apporte : la mixtape, la copie, les compilations et bien sûr son aspect nomade avec l’arrivé du baladeur K7. Sans la mixtape, le hip-hop n’aurait sans doute pas pu quitter les quartiers défavorisés du Bronx et être diffusé dans ceux plus branchés de Manhattan, puis à travers le monde. De même pour de nombreux groupes confidentiels qui sans la compilation et la copie n’auraient pu trouver un public, à l’époque où le web n’en était qu’à ses balbutiements. Avec le fameux Walkman les jeunes ont enfin pu s’affranchir du salon familial et écouter dans la rue les musiques qui les faisaient vraiment vibrer. Mais de tous ces avantages, la cassette en 2013 n’en possède plus aucun. Blogs, I-pod, playlist Spotify, échange de disque dur, Cloud, sont les nouvelles pratiques qui ont supplanté les innovations de la cassette et qui, de part leur facilité d’utilisation et leur immatérialité, s’imposent comme les meilleurs moyens de diffuser et partager la musique.

« La cassette, c’est un bon moyen de commencer, en gérant vraiment l'ensemble du processus, sans intermédiaire » Paul du groupe Volage

Pourtant, il y a bien une caractéristique propre à la cassette qui a su traverser les décennies : son appartenance à l’esthétique Do it yourself. Des marques de matériel audio comme Tascam vont par exemple mettre sur le marché des enregistreurs cassette, 4 ou 8 pistes, qui vont faire le bonheur des groupes fauchés. Alexandre, à la tête du label Croque Macadam et très attaché à la cassette, nous rappelle d’ailleurs l’importance qu’ont pu avoir ces pratiques : La cassette était vitale dans les milieux DIY des années 80. Il y avait une énorme scène cassette. D'ailleurs un certain nombre de volumes des Messthetics (compilations sur les scènes indés DIY) sont consacrés aux cassettes DIY. On y trouve des choses très intéressantes et hors du commun. Globalement c'est de la musique expérimentale mais on pouvait aussi trouver de la super pop comme les Cleaners from Venus ! On pense également à Daniel Johnston qui utilisait la bande magnétique pour enregistrer et dupliquer ses premiers disques, chez lui, dans son garage.



C’est cet esprit que de nombreux groupes reprennent aujourd’hui, souvent aidés par du matériel d’époque (alors que Sony a arrêté fin 2012 sa production d’enregistreurs cassette) et poussés par l’envie de produire quelque chose de personnel. Glenn Brigman du groupe indie-pop américain Triptides avoue sans détour son attachement à ce matériel bon marché : On bosse toujours sur notre Tascam 8 pistes. C’est simple, efficace, et ça apporte un charme rétro qu’on aime beaucoup. Avec ce matériel on peut vraiment produire le son qu’on veut, c'est-à-dire quelque chose d’épais mais aussi d’énergique. Le genre de sensation qu’on ne retrouve pas dans le numérique, où tout semble fragile. 

Paul du groupe français Volage, qui a sorti son premier EP sur cassette, explique lui aussi en quoi cela a été une évidence : La cassette c'est le support analogique le plus cool qu'on ait trouvé. Pour nous c'était un bon moyen de commencer, en gérant vraiment l'ensemble, sans intermédiaire. Et ça permettait en plus de travailler un peu le packaging sans trop de frais. Il y a l’idée du bel objet. Le vinyle c’est un super objet, c’est un vrai choix dans un shop. La cassette c'est pareil, c’est ludique et souvent en petits tirages, donc assez rares. On voulait être contents du tout. On s’est même amusés à faire des pochettes hyper débiles. C’est aussi le premier support qu'on ait connu enfants. On continue même à enregistrer sur des 4 pistes.

Il est vrai qu’en terme de coût de production la cassette est le support le plus cheap. Entre 40 centimes et 2 euros pour l’objet, 30 centimes et 2 euros pour le boitier, l’impression des covers souvent faite maison, il est assez facile de sortir une petite centaine de cassettes et de les vendre à la fin des concerts. D’ailleurs Alexandre, bien qu’amoureux du microsillon, n’exclut pas de sortir des cassettes sur Croque Macadam : Je comprends ce retour de la cassette quand je vois ce que ça coûte de faire un vinyle, ça douille ! Quand tu es un petit label vendre 300 ou 500 copies en vinyle c'est un vrai sacerdoce. Alors que faire 100 copies en cassette c’est un investissement bien moindre donc tu peux prendre plus de risques et t’as moins de quantité à écouler. Beaucoup de labels choisissent cette solution à cause de sa facilité de mise en œuvre, et je les comprends totalement !



Il reste néanmoins que l’objet est souvent pointé du doigt pour ses qualités sonores médiocres. Et ce n’est pas Guilhem, journaliste musical, aimant le son diffusé en 33 tours par minutes qui défendra ce support qu’il juge parfois gadget : La cassette a pour seul avantage le fait qu'elle soit facile à transporter (et encore, les nouvelles voiture ne peuvent plus lire une cassette aujourd’hui). En dehors de ça, la qualité de son est médiocre, il y a un souffle horrible et les aigus passent très mal. Sans parler de la bande qu'on a peur de casser à chaque fois que l'on rembobine, crayon à papier en main, ou qui peut se dérouler d'un coup sans prévenir en pleine lecture. Même pour un groupe que j’adore, je ne me vois pas du tout acheter une cassette, ce qui rend ses sorties exclusives sur ce support extrêmement frustrantes. Et là je pense notamment au coffret de the Go que Burger a fait paraître sur cassette l’année dernière. Malgré tout, je reconnais que c’est un support utile et qui doit exister, car sans lui des sorties, et donc des groupes, ne verraient pas le jour.

De ces critiques, Paul de Volage préfère y voir des qualités : D'un point de vue purement technique il est clair que la qualité sonore est bien meilleure avec un CD par exemple, il y a une dynamique beaucoup plus grande que celle de la bande magnétique. Mais j’ai tendance à dire que les défauts des cassettes sont en fait ses avantages. Pour les amoureux, comme nous, du son analogique, il y a sur ce petit support un peu cheap cette chaleur propre qu’on ne retrouve pas sur du numérique. Par exemple la saturation produite par la bande est très recherchée, c’est presque inimitable numériquement. Moi  par exemple je pousse volontairement un tout petit peu les niveaux lorsque je les duplique pour créer cette saturation de la bande. C'est tout simplement un autre langage, précise-t-il.

« La cassette est plus désirable. C’est un non-sens technologique et c’est ça qui la rend intéressante. » Alexandre
Erika Iris Simmons
Un autre langage qui traduit, comme le retour du vinyle, l’écœurement de beaucoup pour le tout numérique et cette irrépressible envie de pouvoir tenir quelque chose entre ses mains. La montée actuelle de la cassette est en partie liée à la dématérialisation, ça participe à un état d'esprit général de "slow technology", d’autant qu’il y a un côté désuet qui parle à beaucoup de nos jours, précise Alexandre avant de poursuivre : la cassette est plus désirable, c’est un non-sens technologique et j'imagine que ça la rend intéressante ! Le label Burger a aujourd’hui un petit succès car il s'est mis tôt sur le créneau, quand ça n'intéressait personne. Ils ont profité de ce désintérêt pour sortir des gros disques et quand le truc a commencé à prendre, ils étaient bien déjà bien installés.

Cette pulsion de la "re-matérialisation" de la musique a néanmoins peu de chances avec la cassette d’atteindre les grands circuits de distribution et les majors, comme peut le faire actuellement le vinyle. A priori donc, on n’est pas prêt de retrouver une K7 du dernier David Guetta à 15 euros dans les rayons de la Fnac, même si des "gros" indépendants commencent à s’y mettre (Domino, Bella Union, 4AD avec le Cassette store day notamment). En attendant elle bourgeonne sur les étals des disquaires indépendants, comme à Pop Culture Shop, rue Keller à Paris, où Fred vend depuis quelques temps des cassettes, un format, selon lui,  à la qualité aléatoire mais qui reste démocratique, grâce à un prix jusqu’à trois fois moins cher que le vinyle, tout en étant limité, donc rare, à cause de son faible tirage. 

Paul est de cet avis : Dans le contexte actuel, elle a d'abord un rôle marketing pour les petits groupes. Rendre le produit final sympa avec un coté très cool. Face à l’ampleur de la révolution numérique elle est finalement peu de chose. Si Alexandre croit en la cassette, il reste prudent et réaliste, préférant profiter du moment présent : Son rôle est assez mineur, c’est une charmante anomalie. J'ai tendance à dire que le phénomène cassette ne va pas prendre d'ampleur, mais il ne faut jurer de rien. Le vinyle est plus noble, plus intemporel en un sens. Les groupes, comme les auditeurs, qui veulent retrouver un format physique se tourne naturellement vers celui-ci. C’est pour ça que j’ai le sentiment que les disques tiendront mieux dans le temps, alors que ça me semble plus fragile pour la cassette. Une fragilité dans laquelle de nombreux groupes sans-le-sou sont obligés de se réfugier s’ils veulent laisser une trace de leur passage.
Punching Joe