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mercredi 29 mai 2013

Public Nuisance, Gotta Survive

Made In Sacramento 1/2
Capitale méconnue de la Californie, Sacramento vit dans l’ombre des fabriques à fantasmes que sont Los Angeles, San Francisco ou encore San Diego. Tapie dans les terres, cette ville moyenne se résume souvent à son équipe de basket, les Kings. Une ambiance pantouflarde et morne qui semble parfaitement convenir à l’éclosion de beautiful losers telle que l’histoire du rock en raffole. La preuve avec Public Nuisance, les génies sixties oubliés.


Les compilations Nuggets, Back From the Grave et autres Pebbles ont eu beau fouiner avec assiduité dans les moindres recoins du garage, aucune d’entre elles n’a croisé la route de Public Nuisance, improbable joyau sixties qui n’a été exhumé qu’en 2002 sur CD chez Frantic par Joey D, puis en 2012 sur vinyle, par Third Man Records.

Le groupe naît donc à Sacramento en 1964 sous le nom the Jaguars avant de devenir Moss & the Rocks et de publier son premier et seul 45 tours "There she goes"/"Please come back" (qui sera néanmoins réenregistré dans une version plus courte). Ces enregistrements captés aux studios Ikon de Sacramento sont supervisés par un certain Eirik Wangberg, dit le Norvégien, qui avant de collaborer avec Paul MacCartney ou les Beach Boys se prendra d’affection pour le quatuor. Moss & the Rock laisse alors place à Public Nuisance. Un nouveau changement de patronyme qui correspond aussi à une réorientation artistique. La pop sixties un brin psychédélique est délaissée au profit d’une identité sonore plus électrique et sauvage. Côté look, les freluquets deviennent des punk avant l’heure en enfilant des frusques toutes noires, un peu à la manière des Monks de l’autre côté de l’Atlantique. Nous sommes en 1967 et David Houston, Ron McMaster, Pat Minter et Jim Mathews prennent la route de San Francisco pour enregistrer des démos dans les studios du label Fantasy. Ces sessions, qui n’ont débouché sur aucune sortie, sont aujourd’hui considérées comme perdues. Heureusement pour eux, Eirik Wangberg croit toujours en l’avenir de Public Nuisance et en 1968 il en enregistre de nouvelles dans son studio d’Hollywood. Ces démos, qui n’en ont que le nom tant la production est incroyable de justesse, seront compilées dans la fameuse édition CD de 2002 (voir fin de l'article). Entre Beatles, Small Faces, Pretty Things et teen punk sixties, Public Nuisance construit un son qui mêle évidence mélodique et rage punk.


A la fin de l’année 1968 ils tapent dans l’œil de Terry Melcher, producteur des Byrds, qui les signe chez Equinox. Avec toujours le Norvégien aux manettes, un LP est enregistré à Los Angeles, qui deviendra le Gotta Survive que Third Man Records vient de rééditer en vinyle. Pourquoi le disque n’a pas été publié à l’époque ? A cause d’un coup du sort : au même moment Terry Melcher se retrouve au cœur de l’affaire Sharon Tate, l’actrice et femme de Roman Polanski, massacrée par les disciples de Charles Manson dans la maison que Melcher venait de quitter pour laisser la place au couple. Il avait d’ailleurs rencontré plusieurs fois Manson juste avant, lorsque ce dernier s’imaginait musicien. Traumatisé, Melcher abandonne ses projets en cours, laissant le disque de Public Nuisance dans les caves d’Equinox. Quelques mois plus tard le groupe se sépare. Fin de l’histoire.

On soulignait la qualité des enregistrements des démos de 67, les 12 titres de Gotta Survive sont encore plus époustouflants. Rien à voir avec du garage à la Back From the Grave, les Public Nuisance jouent clairement dans la cour des grands. D’emblée "Magical  Music Box" et "Strawberry Man" éblouissent par un son garage-pop limpide, qu’on pourrait presque qualifier d’indie (en usant d’anachronisme), tant le mix de ces deux chansons paraît moderne. Sur cette face A absolument parfaite, le quatuor s’essaye aussi au beat à la Pretty Things avec "Love is a Feeling" où Houston impose son chant éclatant, propulsé par les ruades de McMaster aux fûts. Aussi à l’aise quand il s’agit de se la jouer psyché, le groupe balance en toute nonchalance "Holy Man", chanson tordue et inquiétante qui ne manque pas d’asséner quelques coup de massue électrique. "Ecstasy", elle, enterre sereinement une bonne partie des Nuggets les plus psychédéliques. Tout dans cette chanson est fabuleux, de l’accent anglais foireux de Houston, à cette boucle de clavier mémorable, en passant par une progression virevoltante appuyée la basse menaçante de Minter. Et comme si ça ne suffisait pas, la face se termine sur "Gotta Survive", chef-d’œuvre de 6 minutes transpercé de toute parts par des ricanements hystériques et une fuzz diabolique.


La face B est légèrement en deçà et ne possède pas de morceaux de la trempe de "Ecstasy" ou "Gotta Survive". Elle n’en reste pas moins excellente et élargit un peu plus la palette de Public Nuisance, qui semble capable de tout faire. "7 or 10" passe par la case acoustique avec brio tandis que "Small Faces" se pare d’un son garage velu (il arrivera d’ailleurs à Jack White de reprendre la chanson sur scène avec les White Stripes). Quant à "Sabor Thing" et "Thoughts", elles démontrent, s’il en est encore besoin à ce stade du disque, toute l’intelligence du groupe dans sa manière de construire ses chansons. Une intelligence et une malice qu’ils investissent entièrement dans "I am going", sorte de bluette pastiche des Beatles qu’ils sectionnent en trois parties, quasi-identiques, pour un triptyque anti-tube qui prend la forme d’un collage pop audacieux et intriguant.


Cet enregistrement met donc en avant un groupe à part : quatre jeunes loups malins comme des singes qui ont su prendre toute la mesure d’un enregistrement studio, pour livrer un disque d’une qualité rare, tant dans sur la forme que le fond. A la fois quintessence d’une époque et avant-gardiste, ce bijou intemporel, trop longtemps perdu dans un trou noir de l’histoire du rock, est désormais à la portée de tous, ne passez pas à côté. 
Punching Joe

-L'édition CD de Frantic Records étant difficilement trouvable à des prix raisonnables, on a mis quelques extraits à écouter ci-dessous (avec le 45t des Moss & the Rocks).
-Suite et fin de Made in Sacramento avec les Readymades

1 commentaire:

  1. Super disque effectivement ! Et tu as raison de noter que le groupe est exclu des compilations garage. Même sur The Sound Of Young Sacramento sorti chez Ace (et qui comprend une trentaine de titres) le groupe n'apparaît pas !

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