barre onglet

dimanche 1 septembre 2013

Bande à part

La cassette à la rescousse
D’abord raillée pour son côté ringard et sa qualité sonore peu sûre, la cassette revient en force depuis quelques temps, soi-disant sous l’impulsion de la fameuse retromania ambiante. Pourtant, bien plus qu’une mode, c’est aussi, et surtout, un objet pas cher à produire, qui permet aux groupes lassés du tout numérique de pouvoir laisser une trace, quelque chose de palpable et d’insolite.

Il est difficile de ne pas associer le retour de la cassette audio au label californien Burger Records qui dès 2007 s’est lancé dans ce business alors considéré comme obsolète. Il aura pourtant fallu attendre quelques années supplémentaires pour que des gros médias US, de Pitchfork jusqu’au Los Angeles Times, mettent vraiment en avant cette petite structure de passionnés. On se souvient notamment de la Kitty Comp parue à l’été 2012 qui avait permis à Burger d’attirer l’attention. Pour rappel, Burger avait fait une compilation de charité pour opérer un chaton que les employés avaient retrouvé écrasé devant les locaux du label. Une initiative façon Trente Millions d’Amis qui a même été réitérée quelques mois plus tard, cette fois pour opérer un teckel, avec la the Wiener Comp, épuisée en quelques jours. Aujourd’hui, avec son catalogue foisonnant, Burger Records est donc mondialement connu et jouit d’une notoriété non négligeable dans la sphère des indépendants, sans pour autant lâcher ses précieuses cassettes, son esprit branleur et son savoir-faire DIY.

Ce format désuet, symbole des années 80, est en effet en vogue ces derniers temps et il est de moins en moins rare de voir des musiciens, issus des scènes indépendantes, avoir recours à la bande magnétique pour enregistrer et diffuser leurs chansons. A tel point que les articles fleurissent désormais, essayant de comprendre cette "tendance" et n’hésitant pas à s’imaginer un revival de la cassette, à la manière du vinyle. Un documentaire sur le sujet va même voir le jour, tandis qu’un Cassette store day se tiendra le 7 septembre prochain. A cette différence près, que si l’utilisation du support vinyle est marqué d'un cérémonial et de codes assez similaires à il y a 60 ans (sauf peut-être pour les hipsters qui n’écoutent pas les vinyles qu’ils achètent), celle de la cassette n’est plus tout à fait la même que lors de sa popularisation.


La cassette commence à se répandre au début des années 80 grâce aux nouvelles possibilités qu’elle apporte : la mixtape, la copie, les compilations et bien sûr son aspect nomade avec l’arrivé du baladeur K7. Sans la mixtape, le hip-hop n’aurait sans doute pas pu quitter les quartiers défavorisés du Bronx et être diffusé dans ceux plus branchés de Manhattan, puis à travers le monde. De même pour de nombreux groupes confidentiels qui sans la compilation et la copie n’auraient pu trouver un public, à l’époque où le web n’en était qu’à ses balbutiements. Avec le fameux Walkman les jeunes ont enfin pu s’affranchir du salon familial et écouter dans la rue les musiques qui les faisaient vraiment vibrer. Mais de tous ces avantages, la cassette en 2013 n’en possède plus aucun. Blogs, I-pod, playlist Spotify, échange de disque dur, Cloud, sont les nouvelles pratiques qui ont supplanté les innovations de la cassette et qui, de part leur facilité d’utilisation et leur immatérialité, s’imposent comme les meilleurs moyens de diffuser et partager la musique.

« La cassette, c’est un bon moyen de commencer, en gérant vraiment l'ensemble du processus, sans intermédiaire » Paul du groupe Volage

Pourtant, il y a bien une caractéristique propre à la cassette qui a su traverser les décennies : son appartenance à l’esthétique Do it yourself. Des marques de matériel audio comme Tascam vont par exemple mettre sur le marché des enregistreurs cassette, 4 ou 8 pistes, qui vont faire le bonheur des groupes fauchés. Alexandre, à la tête du label Croque Macadam et très attaché à la cassette, nous rappelle d’ailleurs l’importance qu’ont pu avoir ces pratiques : La cassette était vitale dans les milieux DIY des années 80. Il y avait une énorme scène cassette. D'ailleurs un certain nombre de volumes des Messthetics (compilations sur les scènes indés DIY) sont consacrés aux cassettes DIY. On y trouve des choses très intéressantes et hors du commun. Globalement c'est de la musique expérimentale mais on pouvait aussi trouver de la super pop comme les Cleaners from Venus ! On pense également à Daniel Johnston qui utilisait la bande magnétique pour enregistrer et dupliquer ses premiers disques, chez lui, dans son garage.



C’est cet esprit que de nombreux groupes reprennent aujourd’hui, souvent aidés par du matériel d’époque (alors que Sony a arrêté fin 2012 sa production d’enregistreurs cassette) et poussés par l’envie de produire quelque chose de personnel. Glenn Brigman du groupe indie-pop américain Triptides avoue sans détour son attachement à ce matériel bon marché : On bosse toujours sur notre Tascam 8 pistes. C’est simple, efficace, et ça apporte un charme rétro qu’on aime beaucoup. Avec ce matériel on peut vraiment produire le son qu’on veut, c'est-à-dire quelque chose d’épais mais aussi d’énergique. Le genre de sensation qu’on ne retrouve pas dans le numérique, où tout semble fragile. 

Paul du groupe français Volage, qui a sorti son premier EP sur cassette, explique lui aussi en quoi cela a été une évidence : La cassette c'est le support analogique le plus cool qu'on ait trouvé. Pour nous c'était un bon moyen de commencer, en gérant vraiment l'ensemble, sans intermédiaire. Et ça permettait en plus de travailler un peu le packaging sans trop de frais. Il y a l’idée du bel objet. Le vinyle c’est un super objet, c’est un vrai choix dans un shop. La cassette c'est pareil, c’est ludique et souvent en petits tirages, donc assez rares. On voulait être contents du tout. On s’est même amusés à faire des pochettes hyper débiles. C’est aussi le premier support qu'on ait connu enfants. On continue même à enregistrer sur des 4 pistes.

Il est vrai qu’en terme de coût de production la cassette est le support le plus cheap. Entre 40 centimes et 2 euros pour l’objet, 30 centimes et 2 euros pour le boitier, l’impression des covers souvent faite maison, il est assez facile de sortir une petite centaine de cassettes et de les vendre à la fin des concerts. D’ailleurs Alexandre, bien qu’amoureux du microsillon, n’exclut pas de sortir des cassettes sur Croque Macadam : Je comprends ce retour de la cassette quand je vois ce que ça coûte de faire un vinyle, ça douille ! Quand tu es un petit label vendre 300 ou 500 copies en vinyle c'est un vrai sacerdoce. Alors que faire 100 copies en cassette c’est un investissement bien moindre donc tu peux prendre plus de risques et t’as moins de quantité à écouler. Beaucoup de labels choisissent cette solution à cause de sa facilité de mise en œuvre, et je les comprends totalement !



Il reste néanmoins que l’objet est souvent pointé du doigt pour ses qualités sonores médiocres. Et ce n’est pas Guilhem, journaliste musical, aimant le son diffusé en 33 tours par minutes qui défendra ce support qu’il juge parfois gadget : La cassette a pour seul avantage le fait qu'elle soit facile à transporter (et encore, les nouvelles voiture ne peuvent plus lire une cassette aujourd’hui). En dehors de ça, la qualité de son est médiocre, il y a un souffle horrible et les aigus passent très mal. Sans parler de la bande qu'on a peur de casser à chaque fois que l'on rembobine, crayon à papier en main, ou qui peut se dérouler d'un coup sans prévenir en pleine lecture. Même pour un groupe que j’adore, je ne me vois pas du tout acheter une cassette, ce qui rend ses sorties exclusives sur ce support extrêmement frustrantes. Et là je pense notamment au coffret de the Go que Burger a fait paraître sur cassette l’année dernière. Malgré tout, je reconnais que c’est un support utile et qui doit exister, car sans lui des sorties, et donc des groupes, ne verraient pas le jour.

De ces critiques, Paul de Volage préfère y voir des qualités : D'un point de vue purement technique il est clair que la qualité sonore est bien meilleure avec un CD par exemple, il y a une dynamique beaucoup plus grande que celle de la bande magnétique. Mais j’ai tendance à dire que les défauts des cassettes sont en fait ses avantages. Pour les amoureux, comme nous, du son analogique, il y a sur ce petit support un peu cheap cette chaleur propre qu’on ne retrouve pas sur du numérique. Par exemple la saturation produite par la bande est très recherchée, c’est presque inimitable numériquement. Moi  par exemple je pousse volontairement un tout petit peu les niveaux lorsque je les duplique pour créer cette saturation de la bande. C'est tout simplement un autre langage, précise-t-il.

« La cassette est plus désirable. C’est un non-sens technologique et c’est ça qui la rend intéressante. » Alexandre
Erika Iris Simmons
Un autre langage qui traduit, comme le retour du vinyle, l’écœurement de beaucoup pour le tout numérique et cette irrépressible envie de pouvoir tenir quelque chose entre ses mains. La montée actuelle de la cassette est en partie liée à la dématérialisation, ça participe à un état d'esprit général de "slow technology", d’autant qu’il y a un côté désuet qui parle à beaucoup de nos jours, précise Alexandre avant de poursuivre : la cassette est plus désirable, c’est un non-sens technologique et j'imagine que ça la rend intéressante ! Le label Burger a aujourd’hui un petit succès car il s'est mis tôt sur le créneau, quand ça n'intéressait personne. Ils ont profité de ce désintérêt pour sortir des gros disques et quand le truc a commencé à prendre, ils étaient bien déjà bien installés.

Cette pulsion de la "re-matérialisation" de la musique a néanmoins peu de chances avec la cassette d’atteindre les grands circuits de distribution et les majors, comme peut le faire actuellement le vinyle. A priori donc, on n’est pas prêt de retrouver une K7 du dernier David Guetta à 15 euros dans les rayons de la Fnac, même si des "gros" indépendants commencent à s’y mettre (Domino, Bella Union, 4AD avec le Cassette store day notamment). En attendant elle bourgeonne sur les étals des disquaires indépendants, comme à Pop Culture Shop, rue Keller à Paris, où Fred vend depuis quelques temps des cassettes, un format, selon lui,  à la qualité aléatoire mais qui reste démocratique, grâce à un prix jusqu’à trois fois moins cher que le vinyle, tout en étant limité, donc rare, à cause de son faible tirage. 

Paul est de cet avis : Dans le contexte actuel, elle a d'abord un rôle marketing pour les petits groupes. Rendre le produit final sympa avec un coté très cool. Face à l’ampleur de la révolution numérique elle est finalement peu de chose. Si Alexandre croit en la cassette, il reste prudent et réaliste, préférant profiter du moment présent : Son rôle est assez mineur, c’est une charmante anomalie. J'ai tendance à dire que le phénomène cassette ne va pas prendre d'ampleur, mais il ne faut jurer de rien. Le vinyle est plus noble, plus intemporel en un sens. Les groupes, comme les auditeurs, qui veulent retrouver un format physique se tourne naturellement vers celui-ci. C’est pour ça que j’ai le sentiment que les disques tiendront mieux dans le temps, alors que ça me semble plus fragile pour la cassette. Une fragilité dans laquelle de nombreux groupes sans-le-sou sont obligés de se réfugier s’ils veulent laisser une trace de leur passage.
Punching Joe

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire