"La formation académique en beauté est une imposture. Nous avons été tellement trompé, mais si bien trompé que nous pouvons à peine recouvrir une ombre de la vérité...L'art n'est pas l'application d'un canon de beauté mais ce que l'instinct et le cerveau peuvent concevoir au-delà de n'importe quel canon... "
Picasso, Boisgeloup, 1934, lettre à son ami Christian Zervos
Pour la Nuit des musées il y a une semaine, plutôt que d’attendre trois plombes à Beaubourg, on a décidé d’aller juste en face, au Centre Culturel de Serbie. Une expo avait attiré notre attention dans le programme, avec un nom fait pour nous plaire : Outsiders. Émerveillement garanti.
Jusqu’au 8 juin, la galerie du centre expose des œuvres issues de la collection du
Musée d’art naïf et marginal de Jagodina : des dessins, des peintures, des sculptures. En Serbie, l’art brut et ses cousins (populaire, naïf) sont suivis au niveau institutionnel depuis plus de cinq décennies. Sur trois étages, le Centre culturel serbe nous permet donc d’approcher ces bijoux parfois fragiles, au vu des supports choisis sans souci de pérennité et datant pour certains des années 60.
Revenons sur quelques figures qui nous ont particulièrement marqués :
Les créatures entremêlées de
Vojislav Jakić dont on ne distingue ni le début ni la fin et qui semblent s’avaler perpétuellement les unes les autres. Une profusion d’organismes étranges tracée fiévreusement au feutre, au stylo et renforcée par l’utilisation de pastels. L’artiste décédé en 2003 aura réalisé plus de dix mille dessins dont beaucoup sur d’immenses rouleaux de papier.
Le dessin sanguinaire, qui mesure près de six mètres sur trois, illustre d’ailleurs l’affiche de l’exposition. Une œuvre fascinante dont les couleurs ne dissimulent pas la sombre angoisse. L’artiste disait à propos de ses créations : "ceci n’est pas un dessin, un tableau, c’est du chagrin entassé."
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Vojislav Jakić, sans titre, 2002 |
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Vojislav Jakić, Un tableau à plusieurs titres, 1975 |
Les personnages psychédéliques de
Sava Sekulić aux membres démultipliés et aux formes inattendues. Des associations d’idée incongrues qui s’expriment à travers une peinture plane, à la gamme chromatique réduite. L’artiste a reçu de nombreux prix à l’échelle internationale, même à titre posthume après sa mort en 1989.
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Sava Sekulić, Quand chacun prend ce qui lui revient, 1975 |
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Sava Sekulić, La nature marche sous la voûte céleste, 1974 |
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Sava Sekulić, Le Germe de la vie, 1974 |
Les scènes aux détails répétitifs de
Miodrag Pavlović. Cordonnier de profession, l’artiste peint de 1960 à 1970, sous tutelle de l’Institut de santé mentale de Belgrade où il reçoit les premiers encouragements de son médecin. Les compositions de l’artiste révèlent un sens indéniable du rythme avec un mouvement toujours parfaitement retranscrit, une dynamique flagrante.
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Miodrag Pavlović, La Course, 1966 |
Les visions fantasmatiques de
Vojkan Morar où des flots d’anges et d’âmes aspirent à rejoindre on ne sait quel ciel jaune étrange. L’artiste fait preuve d’une minutie obsédante notamment dans le détail de ses villes. Une image sur écran ne peut rendre compte de ces œuvres intrigantes car il manque ici le relief particulier de ses toiles, obtenu sans doute par superposition des couches de peinture ou par ajout d’une quelconque matière.
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Vojkan Morar, Tout à la fois, 1992 |
Et bien d’autres encore, des anonymes mêmes, qui, s’ils n’ont transmis aucun nom, ont eux aussi laissé pour traces leurs traits délicieusement mystérieux.
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auteur inconnu, La Vengeance, années 60 |
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Milanka Dinić, Les Anges nous surveillent, 2009 |
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Emerik Feješ, Notre-Dame de Paris, 1962 |
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Le peintre des portraits mélancoliques, La Fille en rouge, 1960/70 |
Nous regrettons de ne pas avoir eu vent de l’expo plus tôt et de vous passer le mot aussi tard, il vous reste une quinzaine de jours…foncez !
Hanemone
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