C’est avec un certain enthousiasme que j’ai accueilli la sortie du nouveau film de Peter Mullan. Il faut dire que son précédant, the Magdalene Sisters (2001), m’avait laissé un très bon souvenir. Dans cette œuvre il s’attaquait aux dérives oppressantes de la religion en suivant des jeunes filles en quête d’émancipation face au catholicisme arriéré des couvents. Il préfère cette fois traiter de la construction, ou plutôt de la déconstruction, des individus dans une société à la dérive, où le mérite compte bien moins que les liens du sang. Il pose alors sa caméra dans un espace et un temps qu’il connait bien : l’Ecosse pauvre des seventies.
John McGill (Gregg Forest puis Conor McCarron) est un enfant brillant qui se réfugie dans la lecture et les études pour fuir le quotidien morose et l’ambiance familiale pesante générée son père alcoolique (Peter Mullan himself). Or son entrée au collège marque une rupture : malgré ses airs et ses résultats de petit premier de la classe, il se voit rétrogradé dans une section de niveau inférieur à cause des antécédents de son rebelle de grand frère (Joe Szula). Cependant si ce dernier prive, sans le savoir, le petit John de la place qui lui revient, il lui est d’un grand secours lorsque celui-ci est menacé par une petite frappe « qui n’aime pas les intellos dans son genre ». Un bon passage à tabac par le bien connu Benny et l’affaire est réglée ; on n’embêtera plus le cadet de la famille McGill. Las des obstacles à surmonter et attiré par l’apparente facilité d’une vie de crapule, John va délaisser ses brillantes études et s’immiscer avec panache dans le monde des Non Educational Delinquents (NEDS), jusqu’à en devenir une figure de proue, tout comme son frère.
John enfant (Gregg Forest) |
Sans forcément révolutionner le film-social à l’anglaise, Peter Mullan propose ici un cinéma plus rugueux qui parle de lui-même, presque à la manière du réalisme américain des années 70. Et en ce sens il s’éloigne, avec bon sens, du cinéma à thèses de Ken Loach, qui finit en fait par lasser. La première partie de NEDS est ainsi marquée par des scènes très réussies, où la violence est filmée avec une objectivité et une froideur perturbante. Mullan n’en rajoute pas et c’est tant mieux. Tout en utilisant avec malice des codes éculés (comme la bande-son glam-rock ou les tronches très marquées « made in scotland ») il arrive à rendre compte avec brio de la tension qui anime ces gosses, entre fougue adolescente et brutalité d’adultes (Cf la scène du pont). Et c’est au milieu de cet univers étouffant que le réalisateur propose un discours sociologique tout en nuances.
Mullan nous parle évidemment du déterminisme social. Les possibilités pour John de sortir de ce marasme sont déjà bien minces (pauvreté, chômage, instabilité familiale), mais lorsqu’on constate que l’éducation, seul moyen d’ascenseur social à ce niveau, est elle-même pourrie dans sa constitution (profs qui stigmatisent la réussite, organisation discriminante, etc.) on ne peut que partager la rage de John, qui hurle alors « Vous voulez un NED, vous allez avoir un putain de NED ! ». C’est d’ailleurs dans une classe, lors d’une confrontation très intense avec son professeur, que John va basculer du côté de la rébellion totale. Cependant, une des grandes forces du film, c’est d’arriver à relativiser et de remettre en avant la dimension purement humaine et arbitraire des actes de John. Car le déterminisme qui pèse sur le personnage ne devient pas la seule explication et n’excuse pas tout, surtout le pire (Cf la fameuse scène du cimetière). Il n’y a aucune espèce de complaisance pour ce garçon, certes attachant mais aussi parfois détestable.
John le NED (Conor McCarron) |
On regrette pourtant une fin plus poussive, où Mullan délaisse l’épuration et la sobriété de sa mise en scène, si efficace jusque là, pour sombrer dans un sentimentalisme bouffi, centré sur le personnage paternel, dont l’accumulation des scènes lourdingues ralentit considérablement le rythme du film. Mullan, dont l’histoire personnelle a de nombreuses similitudes avec celle de John, essaye sûrement de se confronter à ses vieux démons, mais ses redondances ennuient vite. Dommage, avec trente minutes en moins on tenait un film d’une puissance rare.
On notera pour finir la performance magistrale et magnétique de Conor McCarron, dont c’est a priori le premier film, et qui justifie presque à lui seul le déplacement. Un début à la manière des plus grands !
Bande annonce
Punching Joe
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