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samedi 22 octobre 2011

Portrait d'une enfant déchue

Réalisé en 1970 par Jason Schatzberg

En mai dernier la silhouette glaciale de l’actrice américaine Faye Dunaway sublimait l’affiche du 64e festival de Cannes. La photo utilisée date de 1970 et est signée par un certain Jerry Schatzberg, photographe célèbre pour son travail dans la mode et pour ses collaborations avec de nombreux artistes (la pochette de Blonde on Blonde de Dylan, c’est lui). Un hommage à son travail doublé par la présence exceptionnelle de son premier film, Portrait d’une enfant déchue (Puzzle of a downfall child). Une œuvre décriée à sa sortie en 1970 aux Etats-Unis (et ce malgré la présence de Faye Dunaway, une des actrices les plus en vue à l’époque) qui a peu à peu disparu de la circulation. A tel point que Schatzberg lui-même pensait qu’il n’existait plus de copie originale du film. C’est sous l’impulsion de Thierry Frémaux, directeur général du festival, qu’une bobine a pu être retrouvée, et restaurée, afin d’être projetée sur la croisette, puis en salles cet l’automne (dès le 28 septembre).
Du Schatzberg cinéaste on connait surtout deux films cultes : le brutal Panique à Needle Park (71) avec un Al Pacino grimé en junky et le palmé l’Epouvantail (72), chef d’œuvre méconnu du cinéma indie, avec ce même Al Pacino, accompagné de Gene Hackman. Mais avant ces succès d’estime il y a eu Portrait d’une enfant déchue. Pour cette première tentative Schatzberg pose sa caméra dans un milieu qu’il connait par cœur, celui de la mode. Il met en scène le top model Lou Andreas Sand (Faye Dunaway) qui, isolé dans une maison de bord de mer, se raconte à son ami Aaron Reinhardt (Barry Primus) venu l’interroger en vue d’écrire un film. Un personnage partiellement inspiré par le mannequin Ann Saint Marie qui fascinait Schazberg lorsque celui-ci était encore un jeune photographe.


Ce portrait est une plongée vertigineuse dans les méandres d’une âme à la dérive. Le réalisateur adopte une mise en scène discontinue, sans réelle chronologie, dont les images suivent les réminiscences de Lou. Parfois les souvenirs sont précis, parfois au contraire ils sont morcelés, soumis à la contingence d’une mémoire altérée par un séjour en hôpital psychiatrique. Schatzberg étant sûrement plus intéressé par l’expérience de cinéma que par la réalisation d’un produit bien emballé. En ce sens il fait un film presque expérimental,  pas très éloigné parfois de notre Nouvelle Vague (ce qui fait comprendre pourquoi le film a été renié lors de sa sortie américaine). Mais pour autant cette mise en scène ne doit pas réduire le film à un projet arty ou à un simple « film de photographe ». Si la première demi-heure paraît un peu obscure, l’œuvre de Schatzberg devient ensuite plus expressive, et on est alors happé par l’être de Lou qui est tout entier marqué par une profonde mélancolie.
D’une nature réservée, Lou est propulsée dans un milieu impitoyable et hypocrite, la réduisant à l’état de simple femme-objet, sur les plateaux comme en dehors. Elle est aussi naïve parfois, notamment avec les hommes qui tour à tour vont l’amputer de sa vitalité. La folie qu’elle développe alors va s’immiscer jusque dans les traits de son visage et pénétrer son corps. Instable, elle peut tout aussi bien s’émouvoir devant sa télé pour Anna May Wong et son triste personnage dans Shangaï Express, que se fantasmer en Marlene Dietrich étincelante. On imagine mal une autre actrice que Faye Dunaway pour incarner cette beauté sombre et insaisissable. Schatzberg la scrute, ne la lâche pas, pour ne jamais rater ce regard si troublant, qui à lui seul peut synthétiser tout une séquence. De plus en plus contemplatif le film se termine de manière somptueuse, d’abord par une rencontre avec un pêcheur solitaire, puis par un dialogue cathartique avec Aaron. La séance nous laisse déboussolés, et même un peu effrayés d’avoir pu aller si loin à l’intérieur d’une âme humaine.
Punching Joe

Bande Annonce

Le lien vers le site de Jerry Schatzberg, pour découvrir, entre autres, ses photos.

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